Chapitre 3 - L’ère de la Société de (sur)consommation

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L’ère de la « société de (sur)consommation » 

Les Nauruans gouttent enfin à l'Indépendance

> En 1968, Nauru accède à l’indépendance. Avec ses 21,3 km2, c’est le plus petit État de la planète. Cette nouvelle démocratie élit au suffrage universel (et obligatoire) tous les trois ans ses 19 parlementaires. Quant au Président de Nauru, il cumule les postes de Chef d'État et de Gouvernement ; il est élu au suffrage indirect, par un vote parmi les parlementaires.

Parlement de Nauru> Les Nauruans décident d’ériger leur parlement dans le district de Yaren qui devient de facto la capitale de l’île. Heureuse coïncidence, le cours du phosphate sur le marché s’envole ce qui signe le début d’une ère d’opulence. Les rentrées d’argent sont telles que le revenu par habitant passe brusquement au second rang mondial, ce qui lui vaut le surnom du “Koweït du Pacific”. Il faut dire que les Nauruans sont si peu nombreux.

> Le gouvernement décrète que l’eau, l’électricité, l’éducation et la santé doivent être gratuites et chaque habitant va toucher un chèque en fin de mois afin de subvenir à ses autres besoins. Le travail minier étant essentiellement assuré par des immigrés chinois, les Nauruans rentiers, délaissent les activités traditionnelles pour goûter aux délices pernicieux de la société de consommation.

> Au moment de l’indépendance, les dirigeants de l’île savent déjà qu’il ne reste que trente ans d’exploitation rentable pour la mine de phosphate.  Soucieux de préserver l’avenir, ils évitent de tout dilapider et décident de placer à l’étranger une partie des revenus de l’exploitation du phosphate. À cette fin, ils créent le Nauru Phosphate Royalties Trust (NPRT) chargé de gérer ces actifs sous le contrôle du gouvernement.

1968-1990 l Grandeur ...

> Le NPRT, au sommet de sa prospérité, gère un fond de quasiment un milliard de dollars australiens (A$). Face à une telle fortune les conseillers en investissements se pressent auprès des édiles. Les voilà qui s’entichent de l’immobilier et achètent à Melbourne, à Sydney, à Hawaï, ou à Londres… mais également en Nouvelle-Zélande, aux Fidji, aux Samoa, à Guam, et aux  USA. Par soif de revanche sur l’ancien colonisateur, ils veulent dominer Melbourne en y faisant construire le plus haut gratte-ciel d’Australie. Du haut de ses 190 mètres, Nauru House constitue le joyau de leur couronne en 1976. Les dirigeants euphoriques assurent à leurs administrés que cette ère de prospérité est infinie car tout cet argent a été bien placé.

> Curieux de tout, ces “nouveaux riches” importent des tonnes de nourriture industrielle, font tracer quelques kilomètres de routes autour de l’île pour y faire rouler de somptueuses voitures et installent chez eux du matériel vidéo dernier cri pour goûter au plaisir du cinéma à domicile. Tout est permis car tout est si facile quand l’argent coule à flots.

> Avec une telle fortune, il serait dommage de ne pas partir à la découverte du monde. Les Nauruans décident de moderniser la piste d’atterrissage laissée par les japonais. Un aéroport neuf et trois avions long courrier, voilà exactement ce qu’il faut pour que tous les Nauruans puissent aller en Australie assister aux matchs de footy, manifestations sportives qu’ils affectionnent. Peu importe si le reste du temps, les Boeings d’Air Nauru desservent l’Australie et le Japon, presque vides.

> Dans les années 1990, les Nauruans obtiennent également un dédommagement de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande pour la dégradation de l’île occasionnée par l’exploitation minière lors de la période coloniale.

… et décadence l 1990-2000

> Bien que la ressource commence à se faire plus rare, cette apparente richesse est dilapidée comme s’il y avait du phosphate pour l’éternité. Les dépenses de représentation sont somptuaires et les voyages officiels sans nombre. Le service public compte près de 1 500 fonctionnaires pour une population de 10 000 âmes. Les « conseillers » en investissements peu scrupuleux abusent et corrompent les édiles naïfs et incompétents. 

> Peu à peu, l’état de santé des Nauruans se dégrade car l’obésité de cette population oisive et sur-nourrie fait le lit du diabète et des maladies cardiovasculaires. Le tabagisme y fait également des ravages. L’argent facile en a fait des super-consommateurs de vidéos, quatre–quatre, et gros frigos dont les carcasses jamais réparées se sont accumulées dans tous les recoins d’un paysage peu à peu dévasté.

> Année après année, le déficit public se creuse, atteignant 10 millions de A$ en 1990. Intoxiqué par l’argent et accro à la consommation, le gouvernement commence à emprunter à des sociétés privées afin de préserver son train de vie au détriment d’un avenir qu’il s’obstine à voir radieux.

> Pour faire face à ses dettes et couvrir ses besoins les plus urgents, les Gouvernants décident d’attirer les capitaux étrangers en érigeant Nauru en paradis fiscal. On y compte jusqu’à 400 banques fantômes (shell banks) domiciliées et, rien qu’en 1998, la mafia russe y a fait transiter près de 70 milliards d’US$. Le pays vend aussi des passeports à prix d’or, un trafic qui rapporte jusqu’à 7,4 millions d’US$. Ces affaires douteuses conduisent les États-Unis à qualifier ce pays d'État voyou, et fait perdre à Nauru toute crédibilité aux yeux de la communauté internationale.

> Hélas, la chute des revenus amorcée en 1990 s’accentue. Estimée à  près de 1,6 million de tonnes en 1985-1986, les exportations de phosphate sont tombées sous la barre des 200 000 tonnes en cette fin de siècle. En 2000, l’État maintenant endetté à hauteur de 200 millions d’A$ est en faillite. La General Electrics Capital Division prend alors le contrôle des actifs de Nauru à l’étranger contre un prêt de 240 millions A$ couvrant la dette et les intérêts de la dette.

  Nauru - Zones d’exploitation du phosphate ou épuisées      Nauru - Evolution des exportations de phosphate

> Sans phosphate et sans d’argent, le vrai cauchemar des Nauruans prend forme. Les voilà à nouveau prisonniers de leur île, mais ce n’est plus le paradis d’antan.

XXIème siècle, quand sonne le glas

Nauru - Champ de phosphates exploités

> Le plateau central de Nauru ressemble maintenant à un paysage lunaire, épuisé, hérissé de pinacles de corail mort parfois hauts de 15 mètres. Il ne reste quasiment plus de forêt et les oiseaux ont disparus.  Seul fragment d’île oublié des excavatrices, le lagon de Buada rappelle encore un paysage d’Océanie. L’étroite bande littorale (100 à 300 mètres) est devenue impropre à l’agriculture. De toute façon, les îliens ne savent plus ni pêcher, ni exploiter les plantations de papayers, bananiers, cocotiers ou d’ananas d’antan. Fini les sodas, ils vont en être réduits à ne plus boire que de l'eau de pluie.

> Le rejet en mer des déchets produits par l’exploitation du phosphate a pour sa part lourdement impacté la faune et la flore marine. L’élevage  traditionnel de poissons-lait qui se pratiquait dans le lagon s’effectue désormais dans des bassins en béton depuis 1991. Au large, ce sont les thoniers sud-coréens, taïwanais, japonais et américains qui viennent pêcher dans les eaux territoriales.

Nauru - Districts de Denigomodu et Nibok

> Avec 470 habitants / km2, Nauru a la densité de population la plus élevée d'Océanie (9e rang mondial) et l'un des taux de chômage les plus élevés du monde, atteignant les 90 % en 2009. Classé au deuxième rang mondial concernant le tabagisme, elle devient championne du monde pour le taux d'obésité qui atteint 90% de la population adulte de l’île en 2012. L'espérance de vie y a chuté à 58 ans pour les hommes et 65 ans pour les femmes.

>  Mis sur la liste noire du Groupe d'action financière de États Unis en 2000 pour son rôle dans le blanchiment de capitaux plus que douteux, Nauru est contraint d’adopter ultérieurement une politique financière plus stricte afin de régulariser sa situation auprès des instances internationales.

> Entré en 1999 à l'ONU, l'État Nauruan, constamment en quête d'aides, y monnaye ses votes. C'est l'un des rares pays à reconnaître Taïwan puis  par opportunisme en 2002, à retourner sa veste en faveur de la Chine contre la promesse d’une aide au développement de 150 millions de dollars. En restant un terrain de contestation entre Pékin et Taipei qui maintient la seule ambassade étrangère sur place, cette dispute permet à la minuscule république d'exercer un certain rôle sur la scène internationale et d'avoir accès à des fonds étrangers pour sa survie économique.

De la déchéance morale au naufrage éthique

> Afin d’endiguer toute nouvelle vague de “boat people”, le gouvernement travailliste australien instaure en 1992 une politique - toujours en vigueur - de rétention drastique pour les réfugiés autorisant leur mise en détention sans aucune limitation de durée, ou leur expulsion. En 2000, une législation complémentaire autorise l'armée à arraisonner, fouiller, renvoyer ou détenir des bateaux transportant des demandeurs d'asile dans les eaux internationales, prérogative appliquée jusqu’à 200 kilomètres de ses côtes.

> L’année suivante, l’affaire Tampa - nom du cargo norvégien ayant porté secours à 438 demandeurs d'asile afghans entassés sur un navire en train de sombrer et refoulé par l’Australie - porte cette politique contraire aux droits des réfugiés sur l’avant-scène internationale. Soucieux de résoudre ce problème, le gouvernement australien met sur pied dans la hâte un traitement extraterritorial du problème : la « Solution du Pacifique ».

 > Contre une indemnisation de 10 millions d’US$, Nauru exsangue accepte de devenir avec l’île de Manus le maillon essentiel de cette Solution qui permet de dénier tout droit de revendiquer le statut de réfugié selon la convention internationale et la loi australienne. Les quémandeurs sont hébergés dans des camps de rétention construits par les autorités australiennes, alors que leurs demandes sont évaluées conjointement par des agents d'immigration australiens et des représentants du UNHCR.

Nauru - Camp de rétention

> De 2001 à 2007, cette activité constitue une manne financière importante, représentant jusqu'à 20 % des revenus de l'île. Mais à l’extérieur de nombreuses voies s’élèvent pour protester car l’état d’isolement indéfiniment prolongé conduit certains réfugiés au suicide ou l’automutilation pour être évacué. En 2008, le gouvernement australien sous pression décide de mettre un terme à la Solution du Pacifique et ferme le centre.  

> Mais en 2013, des associations australiennes appellent à manifester contre le traitement inhumain appliqué aux réfugiés après que de graves émeutes soient survenues dans les centres de rétention de l’île de Christmas et de Sydney partiellement détruits par le feu. Afin d’éteindre ce brulôt, le gouvernement décide de réactiver la Solution du Pacifique et Nauru sollicité accueille à nouveau les migrants clandestins refoulés. Les subventions boostent les recettes publiques de 20 à plus 115 millions d’A$ et sauvent l’île misérable d’une mort certaine.

> Originaires pour beaucoup d'Afghanistan, du Sri Lanka et du Moyen-Orient, les réfugiés savent que même si leur demande d'asile est jugée légitime, ils ne seront jamais accueillis sur le sol australien. Canberra, intransigeant, argue qu'il sauve ainsi des vies en dissuadant les migrants d'entreprendre un périlleux voyage. Les arrivées de bateaux, qui étaient quasiment quotidiennes, sont aujourd'hui rarissimes selon eux.

 

> Cependant les ravages psychologiques de la détention indéfinie, en particulier chez les enfants sont dénoncés par les défenseurs des réfugiés et les rares journalistes qui peuvent avoir accès à ces camps.
«  Ceux qui ont vu ces souffrances disent que c'est pire que tout ce qu'ils ont vu, même dans les zones de guerre. Des enfants de sept et douze ans ont fait l'expérience de tentatives répétées de suicide, certains s'arrosent d'essence et deviennent catatoniques » .
Sans école et sans futur, aucune vie possible ne leur est offerte.

> La lumière continue de tomber sur l’île quand le Parlement nauruan décide en 2014 d’augmenter le coût des visas pour les journalistes de 200 à 8000 A$. Le message est clair,  ils ne sont plus bienvenus sur l’île. Mais ce ne sont pas les seuls. Médecins Sans Frontière (MSF) qui offre depuis novembre 2017 des services psychologiques et psychiatriques gratuits aux réfugiés, demandeurs d’asile et à la population nauruane, voit ses services suspendus en octobre de l’année suivante. Le Gouvernement de Nauru estime que sa présence n’est « plus nécessaires » et demande à MSF de mettre fin à ses activités dans les 24 heures.

> Malgré les nombreux témoignages, les gouvernants de Nauru persistent de façon pathétique dans leur déni. Le 1er septembre 2018, Baron Waqa, le Président de Nauru, affirme durant un entretien télévisé que des enfants sont poussés à s’automutiler par leurs familles et par des défenseurs des réfugiés, déclarant :
« C’est une manière d’exploiter le système, probablement de le court-circuiter, dans le seul but d’aller en Australie. »
Cette déclaration est suivie trois jours plus tard de l’arrestation par la police de Nauru de Barbara Dreaver, une journaliste néo-zélandaise après l’interview d’un réfugié… Le couvercle vient de se refermer sur l’île.  

L’île d’Utopia

> Après moins d’un siècle d’exploitation, l’extraction du phosphate qui a cessé en 2003 reprend en 2006. Les infrastructures minières ont été remises à niveau par une entreprise minière australienne en partenariat avec la RONPHOS, la nouvelle entreprise publique du phosphate à Nauru. L'exploitation primaire prend fin en 2010. Une exploitation secondaire consistant à récupérer le phosphate situé plus en dessous des pinacles est planifiée. Cette nouvelle forme d'extraction ainsi que la vente de gravier aux petites nations océaniennes voisines doit assurer à Nauru des rentrées d'argent pour 30 ans. 

Nauru - Cantilevers abandonnés - Photo Vlad Sokhin    Nauru - Site d’exploitation secondaire de phosphate

Mais cette activité semble déficitaire et on cherche une nouvelle source d'espoirs au fond de l’océan, dans l’exploitation sous-marine de nodules polymétalliques qui pourrait débuter en 2025.

> Les Nauruans de souches refusent de partir vivre en Australie, ou sur une autre île, et nombreux sont convaincus que l'île peut retrouver son aspect d'autrefois. Depuis 2010, existe un projet de reconstitution des terres arables. L'objectif serait de reconstruire Nauru telle qu'elle était avant 1885, avec ses forêts, et ses terres de cultures.

> Ce projet pharaonique et onéreux prévoit l'achat et le transport par cargos de terre agricole du Queensland, afin de reboucher les trous des zones d'exploitations du phosphate, en y déversant la terre secteur par secteur afin de limiter l’emprise les intempéries. Il nécessite de nombreuses compétences que les Nauruans n’ont absolument pas et ne sont pas davantage en mesure de s’offrir.

> Avec l'érosion et les fortes pluies qui balayent ce qui reste de terre fertile à l'intérieur de l'île, cette histoire résonne à la façon du “tonneau des Danaïdes”. La montée des eaux due au réchauffement climatique risque par ailleurs de faire disparaître ce qui reste de la bande littorale cultivable et à terme, d’entraîner des départs de population. Les Nauruans seront-ils victimes à leur tour de l’intransigeante politique d’immigration australienne ?

Épilogue

> La trajectoire historique de Nauru illustre magistralement l’effondrement d’un monde qui a pris des millions d’années à s’épanouir et trouver un équilibre favorable à l’expression de nombreuses formes de vie, sous les méfaits des activités humaines.

     ÉTAPES  D’UNE  EXTINCTION  PROGRAMMÉE         
     NAUFRAGE

      >> Culturel
                 >> Écologique
                            >> Sanitaire
                                      >> Économique
                                                >> Moral
                                                         >> Éthique

    >> ANÉANTISSEMENT <<    

La fragilité de cette île isolée de l’Océan Pacifique incite à méditer sans délai sur notre mode de vie et son impact sur les conditions de survie de l’humanité sur Terre.

Nauru - Vue aérienne      La Terre vue de l’espace - Mission Apollo 17

Chapitre 2 - L’ère de la Civilisation industrielle

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L’ère de la «  Civilisation industrielle » 

Mutation industrielle de Nauru

Chemin de fer de la mine de phosphate

> Les premières heures du XXème siècles viennent de sonner.
Parmi ces étrangers qui peuplent Nauru, un nouveau venu arpente l’île de long en large, se livrant à un étrange manège ; son nom : Sir Albert Ellis. D’origine néo-zélandaise et géologue de sons état, il travaille pour une firme britannique, la Pacific Island Company.  De-ci de-là, il prélève des échantillons de “terre” et les analyse. C’est bien ce qu’il présentait, cette île recèle du minerai de phosphate en abondance. Bingo!

> Alors que  les Nauruans ne peuvent soupçonner les conséquences de la découverte fortuite d’Albert, lui sait déjà comment cela va radicalement modifier l’avenir de ce confetti perdu dans l’Océan pacifique. Le gisement s’étend sur la quasi totalité de la surface de l’île et une exploitation industrielle en est envisageable.

> Depuis 1888, c’est l’Empire allemand, représenté par la Jaluit Gesellschaft, qui possède les droits d'exploitation du sous-sol. Il les cède à la Pacific Island Company contre 2 000 livres sterling comptant et des parts de cette société rebaptisée Pacific Phosphate Company pour l’occasion. Le contrat prévoit que pour chaque tonne de minerai de phosphate extrait, la Pacific Phosphate Company verse en outre une redevance à la Jaluit Gesellschaft et aux Nauruans, en moindre proportion.

> L’exploitation commence en 1907, supplantant définitivement l’activité économique précédente fondée sur l’exploitation des  noix de coco et de le copra. À Aiwo, un bassin est creusé à la main dans le lagon pour former un bassin protégé par deux brises-lames et muni d’une rampe de mise à l’eau. Quatre barges tirées par des remorqueurs permettent de décharger nourriture et équipements sur l’île, et de charger les vraquiers en phosphate. Une voie de chemin de fer est construite pour y faciliter l’acheminement du minerai. Le phosphate va pouvoir être exporté vers l’Europe, la Nouvelle Zélande et l’Australie où il sera transformé en engrais.

Mission catholique à Nauru

> Pendant ce temps, les missions religieuses assurent la diffusion des croyances et des mœurs métropolitaines sur le territoire. Les indigènes sont incités à échanger leurs pagnes végétaux contre des vêtements en tissus recouvrant mieux leur corps. Les danses tribales au caractère sexuel trop explicite et  jugées obscènes sont bannies ainsi que la polygamie. Afin de faciliter la diffusion des saintes écritures, chacune des confessions élabore son dictionnaire, mais l’administration des mines n’est pas en reste car, pour d’autres raisons, elle compose également du sien. Philip Delaporte, un Germano-Américain débarqué de Hawaï avec sa famille en 1899 est le premier à proposer une traduction de la Bible en langue nauruane ainsi que des adaptations d’ouvrages de catéchisme ou consacrés à l'histoire de l'Église chrétienne.

Changement de propriétaire

> Très loin d’ici, le 28 juin 1914, dans une ville d’Europe nommée Sarajevo, l’assassinat d’un prince est le prélude à un cataclysme. L'Autriche-Hongrie, poussée par l’Allemagne, déclare la guerre à la Serbie. Par réactions en chaîne, c’est bientôt tout le continent qui s’embrase. La Première Guerre mondiale vient de s’enclencher et les “nouveaux dieux” vont s’entretuer dans un carnage qui va durer quatre ans. Les colonies où les protagonistes exercent leur domination ne sont pas épargnées.

> Localement, l’administrateur allemand, détenteur de l’unique émetteur radio de l’île, apprend le 4 août 1914 la mauvaise nouvelle : le Royaume-Uni vient à son tour de déclarer la guerre à l'Allemagne. Il se garde de divulguer l’information aux habitants car la forte minorité d’australiens serait susceptible de prendre parti pour l’ennemi.

> Mais sur les eaux, la marine britannique ne tarde à faire valoir sa suprématie. Le blocus auquel est confronté l’île pèse sur le ravitaillement et les vivres commencent rapidement à manquer. Après le débarquement surprise d’un commando australien et  la destruction de l’émetteur radio, les allemands sont maintenant totalement isolés du reste du monde. L’administrateur se rend et, le 9 septembre 1914, la prise de pouvoir par l'Australie s'effectue sans qu'une goutte de sang ne soit versée. L'activité minière qui n'a pas été affectée par ces remous, va maintenant continuer au profit des vainqueurs.

> Après sa défaite, l’Allemagne doit renoncer à toutes se colonies, Nauru y compris. C’est écrit dans l’article 119 de l’humiliant Traité de Versailles  qu’elle a été contrainte de signer le 28 juin 1919. Parmi les prétendants à  l’Île au trésor, c’est l’Australie qui se montre la plus arrogante. Fraîchement constituée, la Société des Nations tempère son ardeur et préfère placer Nauru sous tutelle, attribuant un Mandat de type C à la couronne britannique.  Nauru vient d’échapper à l’annexion.

 De facto, c’est l’Australie qui administre l’île et reprend à son compte l’exploitation des mines de phosphate contrôlée maintenant par  la British Phosphate Commission. Vendu à bas prix aux agriculteurs australiens et néo-zélandais, le phosphate ne rapporte aux Nauruans que la somme insignifiante de huit pences par tonne extraite.

  Exploitation du phosphate sur l’île de Nauru au début du XXème siècle    

La grippe espagnole

> Si Nauruan a été épargnée par les ravages de la guerre, elle n’échappe pas à un mal qui sévit de 1918 à 1919 et qui a déjà fait des millions de morts sur la planète : la “Grippe espagnole”. À la sortie de l’épidémie, on ne compte plus que 1 068 Nauruans. Le général Griffith en charge de l’administration de l’île estime que ce faible nombre d'habitants menace la survie de l'ethnie. Il incite les chefs locaux à encourager la natalité afin de que le seuil de 1 500 habitants autochtones soit dépassé.

> Parallèlement, l’acculturation des Nauruans se poursuit. En 1920, leur religion totémique ancestrale est abolie. Plus maîtres de leur destin, ils en sont réduits à quémander une plus grande attention à leurs revendications. Le droit de former un « Conseil des Chefs » leur est accordé mais en le restreignant à un rôle consultatif.

> Le 26 octobre 1932 est un grand jour. Nauru fête l’Angam Baby, son 1 500ème habitant. Fillette nommée Eidegenegen Eidagaruwo, les Nauruans la comblent de présents pendant toute son enfance ainsi que sa famille. L'Angam Day sera désormais le jour de célébration de la Fête nationale. Il vient supplanter les cérémonies rituelles ancestrales de juillet pendant lesquelles une frégate, considérée par les Nauruans comme le réceptacle des esprits des ancêtres et le lien avec Buitani, était capturée et honorée, bénéficiant des meilleurs traitements. Les anciennes croyances se meurent.

La guerre moderne

> 1939, l’Europe se déchire à nouveau et le conflit s’étend à toute la planète. C’est la Seconde Guerre mondiale. Démocratie, fascisme et communisme sont des concepts inconnus des Nauruans. En revanche, dès le mois de décembre, ils découvrent avec épouvante le fracas de la guerre moderne. Deux croiseurs allemands, l'Orion et le Komet qui naviguent au large de l’île, cannonnent et coulent cinq phosphatiers en attente de chargement. Quelque jours plus tard c’est le port d'Aiwo qui est visé. Les infrastructures de la British Phosphate Commission sont atteintes et mises hors service pour plusieurs semaines. Ce n’est  hélas qu’un avant-goût de ce qui attend les îliens.

> Le 9 décembre 1941, soit deux jours après l'attaque de Pearl Harbor, les Japonais passent à l'offensive. Après avoir perçu un bourdonnement lointain et des points sur l’horizon,  les Nauruans découvrent dans leur ciel avec stupeur de gros oiseaux mécaniques. Ces avions venus des îles Marshall lâchent maintenant leurs bombes et dans un bruit assourdissant,  détruisent la station TSF de l'île. Face à l’avancée rapide de l’ennemi, les dirigeants de la British Phosphate Commission pour leur part ne tardent pas à évacuer les lieux.

> Le 26 août 1942, un corps expéditionnaire de 300 soldats chargé d’établir une base militaire utilisable par l’aviation prend possession de l'île. Faisant prisonniers sur le champ Européens qui n'avaient pas été évacués, les Japonais laissent les 1 850 Nauruans présents sur l’île libres de leurs mouvements mais ces derniers sont rationnés. Afin de mener à bien la mission, l’occupant fait venir 1 500 Japonais et Coréens auxquels sont adjoints 300 travailleurs forcés nauruans et gilbertins.  La production de minerai de phosphate reste en sommeil, car tous les efforts sont menés pour transformer l’île en forteresse inexpugnable. La piste est achevée en janvier 1943.

Bombardement de Nauru par l’aviation américaine

> Bientôt, l’Oncle Sam contre-attaque dans le Pacifique et les Nauruans vont connaître à nouveau le bruit terrifiant des explosions. Le 25 mars 1943, des bombardiers américains venus d’on sait où apparaissent dans le ciel et lâchent leur cargaison meurtrière sur l’île. Quinze avions japonais stationnés sur l'aérodrome sont détruits et les installations aéroportuaires endommagées.

Déportation et travail forcé

> En représailles, les Japonais font exécuter leurs cinq prisonniers australiens dont l'ancien administrateur de l'île. Des exactions vis à vis de la population commencent à être commises. Totalement coupés de leurs lignes d'approvisionnement, la disette s’installe et les occupants en sont bientôt réduits à vivre en autarcie.

> En septembre 1943, le commandement japonais décide de déporter la quasi totalité de la population de Nauru. Après un périple en mer de 1 600 kilomètres, les Nauruans découvrent un archipel où, sur mer comme dans les airs, règne une activité fébrile. Dans le lagon où ils pénètrent, stationne une imposante flotte de guerre telle qu’ils n’en ont jamais vu, des ravitailleurs de toutes sortes ainsi que des sous-marins. Les voilà débarqués sur les îles Truk, centre névralgique régional de l’armée nipponne et on les contraint maintenant à construire à marche forcée une piste d'atterrissage.

Déportation des Nauruans lors de la 2nde Guerre mondiale

> En novembre les îles Gilbert passent aux mains des Américains. Traumatisés par les pertes effroyables subies lors de la sanglante bataille de Tarawa, ils préfèrent négliger Nauru située à proximité et laisser sur leur chemin ce réduit japonais maintenant neutralisé sans y donner l’assaut.

Embarquement des prisonniers de guerre japonais

> Près de deux ans plus tard, les troupes japonaises de Nauru signent enfin leur reddition. On est  le 13 septembre 1945, soit 11 jours après la capitulation du Japon. Les Australiens peuvent enfin reprendre pied sur l’île qu’ils découvrent exsangue, et évacuer les prisonniers de guerre. On décompte plus de 200 morts parmi les quelques Nauruans restés.

Peu à peu, les exilés des Îles Truk sont rappatriés,  Eidegenegen Eidagaruwo fait partie du premier convoi parti le 29 juin 1943. Elle succombe hélas des privations et des épidémies subies.  Sur les 1 200 qui ont quitté l’île en 1943, seuls 737 Nauruans ont retrouvé leur foyer. Il ne reste plus que 1 369 autochtones au recensement de 1946. Une nouvelle course à l'Angam Baby est lancée. Il faut attendre le 31 mars 1949 pour que Bethel Enproe Adam, le second Angam Baby, naisse à Boe.

Une nouvelle mise sous tutelle

L'histoire aime se répéter. Ainsi, l’Organisation des Nations unies qui vient de supplanter la SDN, confie le 1er novembre 1947 un mandat d’administration conjoint au Royaume-Uni, à la Nouvelle-Zélande et à l'Australie, mais seule cette dernière gère l'île de Nauru dans les faits. La British Phosphate Commission reprend ses prérogatives et l'extraction du minerai de phosphate peut redémarrer.

> Alors que dans l’année qui suit, l'exportation du minerai de phosphate rapporte 745 000 dollars australiens à la British Phosphate Commission, 2 % seulement reviennent aux Nauruans et 1 % à l'administration de l'île. Ces reversements miséreux ne permettent pas d'améliorer les mauvaises conditions de travail et de vie des ouvriers, chinois pour la majorité, qui finissent par fromenter une émeute. L'État d'urgence est proclamé sur l’île, la répression organisée. On compte onze blessés et quatre tués parmi les émeutiers à la fin des troubles. Dans les années qui suivent, la police locale est renforcée en armement. Les Chinois sont étroitement surveillés car on craint leur contamination par l’idéologie communiste, ce que finit par démentir une enquête menée ultérieurement.

> Comme dans le reste du monde colonisé, les Nauruans veulent faire entendre leurs revendications. Après le dépôt de plusieurs plaintes auprès de l’ONU et des pays mandatés, ils obtiennent pour leur part la création d'un « Conseil de gouvernement local ». Le premier Conseil, contrôlé dans les faits par l'administrateur australien, est créé le 18 décembre 1951. Les neuf membres élus choisissent comme chef de fil Timothy Detudamo, l’un des rescapés des îles Truk. Se préoccupant de l’épuisement du minerai prévu pour la fin du XXème siècle, ils demandent une réévaluation des royalties dévolues aux Nauruans.

Débuts d’un désastre écologique

> En 1961, afin de relancer la pisciculture, une espèce de tilapia du Mozambique, l'Oreochromis mossambicus, est introduite dans la lagune Buada. Malheureusement, la concurrence entre ces poissons et les poissons-lait qui y sont élevés traditionnellement nuit à leur croissance. Aucun n’atteint la taille limite de consommation et de nombreux éleveurs baissent les bras car les tilapias sont peu prisés pour la consommation.

> Avec cet échec, associé à l'exploitation intensive du minerai de phosphate qui détruit progressivement l’environnement de façon irrémédiable, l’île est de moins en moins viable pour sa population. Alors que leur désir d'émancipation se renforce, les Australiens  envisagent de transplanter l'ensemble des Nauruans sur l'île Fraser puis secondairement sur l'île Curtis, deux îles situées à proximité immédiate des côtes du Queensland. Les Nauruans ne sont pas opposés à ce projet, mais ils réclament en contrepartie l’indépendance politique. Le refus de l'Australie provoque l’abandon définitif de ce plan en 1964.

Marche vers l’indépendance

Phosphatier au chargement sur l’île de Nauru

> Depuis 1963, les agriculteurs australiens et néo-zélandais achètent le phosphate extrait de Nauru au tiers des prix pratiqués ailleurs dans le monde. L’établissement d'un cours mondial du phosphate en 1964 et la nouvelle répartition des bénéfices (22 % pour les Nauruans et 14 % pour l'administration de l'île) semble vouloir faire décoller la situation économique des îliens.

> En 1966, un « Conseil législatif » est élu avec le soutien du « Conseil de tutelle » australien. La population de Nauru, par la voix de Hammer DeRoburt, réclame l'autodétermination complète. L'Australie accepte finalement l'émancipation de l'île, entame un processus d'indépendance économique et politique. L'Université Nationale Australienne l'aide à rédiger une constitution.

> Ils sont maintenant cinq mille Nauruans sur l’île. Avec des actifs de près de de 500 000 dollars australiens par habitant gérés directement par le pays, la qualité des soins médicaux et de l'éducation s’améliorent. Elle permet même à certains de quitter Nauruans pour aller étudier dans les universités australiennes.

> Dans le cadre du processus d'indépendance, Nauru achète petit à petit des infrastructures et des machines de la British Phosphate Commission et en 1967, l'acquisition de la branche nauruane de la British Phosphate Commission lui permet contrôler l'ensemble de l'industrie du minerai de phosphate sur l’île. Maintenant qu’ils ont repris le contrôle total de leur Île au trésor, les Nauruans vont devoir gérer seuls leur destin. Par là même, ils vont entrer de plein pied dans la Société de consommation.

 … C’est l’objet du dernier épisode de cette triste Saga

 

Chapitre 1 - La Genèse

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Drapeau de Nauru

Armoiries et Devise de Nauru

Île de Nauru - Vue aérienne

Il était une fois Naoero, minuscule île charmante sortie de nul part, une espèce d’Eden où il faisait bon vivre car la nature pourvoyait à tous les besoins des hommes et les femmes qui l’habitait …

Laissez moi vous conter l’histoire d’un “paradis perdu”.  

La Genèse

> Il y a  47 à 29 millions d'années, dans le Pacifique, surgit des entrailles du bassin de Nauru un volcan qui, au fil du temps, donne naissance à une mont basaltique de plus de 4000 mètres affleurant l’eau. Une île est née.  
Le corail s’y implante, édifiant un massif d'une épaisseur de 500 mètres dont la partie superficielle a environ 5 à 0,3 millions d'années.

> Les réactions chimiques du calcaire avec les composants de l’eau de mer combinées aux phénomènes d’érosion qui accompagnent la baisse du niveau des océans lors des périodes glaciaires, forgent progressivement la surface de l’île.

  1. Formation de dolomite (formule chimique : CaMg(CO3)2) par assimilation du magnésium marin
  2. Baisse du niveau de l’océan (- 100 mètres par rapport à aujourd’hui il y 15 000 ans) ; la partie émergée de Nauru devient plus étendue
  3. Érosion de type karstique avec dissolution des trente premiers mètres de cette couche exposée à l'air libre ; formation de colonnes (ou pinacles) en surface et, dans la couche située jusqu'à 55 mètres de profondeur, de grottes et de cavités
  4. Accumulation de phosphate entre les pinacles sur plus de 20 mètres d’épaisseur lorsque le sommet de l'île se trouve à nouveau immergé ; le phosphate dissous aurait précipité autour de tests calcaires d'algues microscopiques (nucleus) à l’occasion de phénomènes de remontées d’eau (upwelling)

> Nous sommes maintenant il y a un peu plus de 10 000 ansc’est  la fin du Pléistocène, la dernière glaciation. Le niveau des océans vient de se stabiliser et un  récif corallien délimitant un petit lagon large de 100 mètres à 300 mètres et peu profond (un mètre en moyenne) se constitue autour de l'île dont la superficie dépasse à peine les  20 km2.

> Située près de l’équateur, l’abondance d’eau de pluie et la richesse du sol favorisent le développement d’une forêt primaire tropicale constituée à partir de végétaux à la dérive. Les oiseaux migrateurs de passage y déposent leur lot de graines et de larves d’insectes mais également leurs fientes et le guano s'accumule. Du fait de son extrême isolement, les rares espèces végétales et animales qui y élisent domicile restent endémiques.  

 Situation de <i>Naoero</i> en Océanie

 

Pirogues à 2 coques utilisées par les austronésien pour partir à la conquête de l'Océanie

Ecce homo

> Depuis déjà plusieurs millénaires, des aventuriers se hasardent  sur les eaux de l'océan pacifique à bord de grandes pirogues à double coque munies de voile et peaufinent leurs techniques de navigation.

Ces austronésiens, car c'est ainsi qu'ils seront nommés bien plus tard, sont les premiers grands navigateurs de l'histoire de l'humanité.

> Il y a environ  3 500 à 4 000 ans, emportant avec eux plantes et animaux et forts de leurs techniques d'agriculture et de poterie, ils s'installent dans toute l’Océanie. Partis des Îles Fidji, ils réussissent à atteindre le continent Sud américain d'où ils rapportent la patate douce.

> Certains, d'origine mélanésienne ou micronésienne, finissent par échouer on ne sait quand ni comment sur cette îlot qui culmine à 70 mètres au-dessus de la mer. Ils y élisent domicile et lui donne un nom : Naoero.
Aux alentours de -1200 av JC, Naoero connaît une seconde vague de migration issue des littoraux chinois via les Philippines.

> La société îlienne s'organise alors en douze tribus, parlant chacune un dialecte différent et vit de la culture des cocotiers, bananiers, pandanus et takamakas. Elle pratique la pisciculture : les poissons-lait prélevés à l’intérieur du lagon sont élevés dans deux lagunes de l'île.

Schéma de migration des austronésiens

 

Cosmogonie
Selon la mythologie nauruane, dont les deux principales divinités sont Eijebong, la déesse de la féminité, et Buitani, l'île des esprits déifiée, le monde a été créé par une araignée appelée Areop-Enap.

Happé par un bénitier, Areop-Enap réussit à en venir à bout grâce à l’aide d’un petit escargot, d’un grand escargot et d’une chenille présents dans le coquillage. À partir de la valve supérieure du bénitier qui l’avait emprisonné, il  créa le ciel. De la valve inférieure, il fit la Terre.
Dans sa lutte pour sortir du coquillage géant, il transforma en Lune le petit escargot afin de rompre l’obscurité dans laquelle il était plongé, puis le grand escargot en Soleil pour y voir enfin clair. Quant à la chenille qui, dans un incommensurable effort avait formé l’océan de sa sueur et fini par mourir épuisée d’avoir ouvert le coquillage qui les emprisonnait, Areop-Enap l’enveloppa dans un cocon et s’en servit pour créer la Voie lactée. De la chair du bénitier il fit des îles et avec sa soie leur végétation.
Puis Areop-Enap créa les humains à partir de pierres pour qu'ils puissent supporter le ciel. Il découvrit alors que d’autres créatures peuplaient la terre. Il transforma la saleté qu’il avait sous les ongles en un monstre volant et lui demanda d’aller les effrayer. Ainsi, en s’appellant les unes les autres afin de s’unir et tuer cet intrus, Areop-Enap pu connaître le nom de tous les habitants de ce nouveau monde.

Premiers contacts avec la civilisation européenne

> Nous sommes le 8 novembre 1798. Une embarcation se profile à l'horizon, la plus grande et la plus sophistiquée que les habitants de Naoro n'aient jamais vue. Piqués de curiosité, ils mettent toutes les pirogues à l'eau et vont  à sa rencontre. C'est la baleinière Hunter du navigateur britannique John Fearn. Les hommes qui la manoeuvre ont la peau pâle, un long nez et sont étrangement vêtus.

> Sur le navire, le capitaine note dans son livre de bord que les indigènes ne sont ni armés, ni ornés de tatouages comme c'est souvent l’usage en Océanie. “Pleasant Island”, c'est le nom qu'il attribue à ce lieu où les Hommes semblent pacifiques.  

> Après cette première rencontre, l'île alors peuplée de quelques centaines d'habitants seulement, sert de refuge à quelques européens en rupture de banc (repris de justice , déserteurs et contrebandiers). Avec eux, les indigènes découvrent les outils en métal et les armes à feu dont la puissance les fascinent, mais également l'alcool et le tabac. Ils commencent à s'en procurer grâce au troc, les échangeant contre des produits locaux - coprah et noix de coco qui servent d’engrais et de nourriture pour animaux.

> Avec les nouveaux venus, certaines maladies inconnues font des ravages. Qu’elles se nomment influenza, dysenterie ou tuberculose, elles tuent sans discernement. Confrontés la brutalité et au despotisme de l’un de ces nouveaux dieux, nos îliens doivent se résoudre à le bannir. La société traditionnelle commence à se déliter, et le règlement des conflits par la négociation s’avère de plus en plus difficile.

> Plus tard, encouragés par certains de ces européens, certains des îliens décident de se livrer à des actes de piraterie. Mus par l’espoir de s’accaparer les richesses et les armes dont regorgent ces navires, ils commencent à vendre leur âme au diable. Les grands voiliers évitent alors de croiser aux abords de “Pleasant Island” qui ne l’est plus tout à fait.

Guerrier Nauruan dans les années 1880

Caïn et Abel

> Cette communauté où armes et alcool circulent continue de s’acculturer et de céder à la violence. Les jalousies vont bon train. Au cours d’une cérémonie de mariage, un coup de feu retentit. Un jeune chef de tribu touché accidentellement meurt de sa blessure. Il n'en faut plus d'avantage pour qu'éclate la guerre. Aux escarmouches succèdent les razzias avec leurs lots de meurtres de femmes et d’enfants. Auweyida, le « roi » de l'île, incapable de faire revenir la paix, appelle à l’aide. Il souhaite une médiation extérieure et l'arrivée de missionnaires sur l'île.

> En 1872 débarquent des étrangers d'un nouveau genre. Leur dialecte aux accents gutturaux diffère des précédents.

Depuis la défaite en Europe des Français à Sedan, britanniques et allemands ont défini leurs zones respectives d’influence dans cette partie du monde. Naoero vient de tomber dans l’escarcelle du Kaiser et ces commerçants et missionnaires allemands (protestants puis catholiques) viennent jouir de leur prérogatives. Avec eux l'île prend pour nom de Nauru. Malgré leur présence le conflit se pérennise, car bien que tous les protagonistes souhaitent la paix, c'est la défiance entre les clans qui domine.

> Le 16 avril 1888, au prétexte d’y rétablir la paix, l'Empire allemand annexe l'île. Après confiscation des armes et prohibition de l'alcool les exactions cessent. Les Nauruans , après avoir perdu leur âme, viennent de perdre la propriété de leur sol. Au terme de ce conflit qui aura duré dix ans, plus de 800 armes sont récupérées alors qu’ils ne sont plus que 1300 encore en vie. Un tiers de la population aura été sacrifiée sur l’autel de la rancune et de la haine.